Egalitarisme linguistique : un combat incompris
Vous avez dû le remarquer en butant sur quelques mots, je tente de mener le combat anti-sexiste notamment par l'orthographe. Ce qui n'est pas évident. D'aucun-e-s diront que c'est ridicule, que c'est illisible, ou que c'est inutile, arguant que "ce n'est pas par là qu'il faut commencer". Ce dernier argmument ayant le don de de m'énerver.
Le sens de la lutte anti-sexiste pour une réforme de l'orthographe
D'abord, il est évident que ce n'est pas par là que la lutte doit commencer, ni qu'elle a commencé. Si les femmes ont obtenu tous les droits dont elles disposent aujourd'hui en France et dans le monde, c'est parce-que le mouvement féministe a su avoir le sens des priorités. Or aujourd'hui, le féminisme est en perte de vitesse. Les féministes - que l'on a tendance à assimiler exclusivement à des femmes - seraient trop extrémistes et dogmatiques et auraient des poils aux pattes et sous les bras. Bref, ce serait un groupuscule de vieilles hippies hystériques et aigries depuis mai 1968, qui, comble de l'horreur, osent s'emparer du poil, attribut qui appartenait jusque-là au domaine réservé des hommes. Ainsi, il n'y aurait plus de cause féminine à défendre car les droits des femmes seraient acquis à quelques détails près. Il serait plus approprié de s'intéresser aux femmes du monde qui souffrent de problèmes bien plus graves comme le mariage forcé à un âge précoce, l'excision et bien d'autres atrocités.
Alors oui, bien sûr, c'est la cause de toutes les femmes qu'il faut défendre. Et, dans ce sens, il faut lutter contre toutes les discriminations qui leur sont faites, même celles qui peuvent paraître les moins graves. En effet, elles font partie d'un tout, d'une idéologie patriarcale, et ne sont pas là par le simple fruit d'une erreur fortuite. Lutter pour une réforme anti-sexiste de l'orthographe, ce n'est pas concentrer son action sur le seul domaine de l'orthographe, c'est une façon parmi mille autres de manifester son engagement dans la vie de tous les jours. C'est une façon d'être cohérent-e avec ses convictions. On ne peut être insensible à la prédominance du masculin sur le féminin à l'écrit comme à l'oral quand on est engagé-e dans la lutte anti-sexiste. Ce n'est alors qu'une inégalité de plus à éradiquer, avec les inégalités face aux salaires, à l'emploi et à la précarité, à la représentation dans les médias et aux postes à responsabilité, à la marchandisation par l'image publicitaire et la prostitution...
L'illisibilité de certaines formes ainsi modifiées peut donc être considérée comme un moindre mal. Quant au ridicule, c'est un des arguments les plus irrecevables qui soient. Une lutte pour l'émancipation comme la lutte anti-sexiste est une lutte contre le ridicule, celui-ci n'étant que l'étiquetage méprisant d'une pratique sociale minoritaire qui dérange. Nous, les anti-sexistes, sommes ridicules? C'est donc qu'il reste beaucoup à faire...
A commencer par définir l'anti-sexisme. Contrairement au féminisme - terme qui me semble efectivement vieilli -, l'antisexisme souligne la défense de l'égalité des sexes et des genres. Ce qui à l'avantage d'englober les hommes et les femmes déclarées, mais aussi les personnes à sexualité plus ambigüe (réforme du tréma!!) ou transgenres, comme les "hermaphrodites", les transsexuel-le-s ou les travesti-e-s... L'anti-sexisme lutte donc contre toutes les discriminations sexistes. Enfin, l'homophobie constitue pour moi une forme supplémentaire de sexisme, puisqu'il est notamment admis qu'une femme épouse un homme, mais pas qu'un homme épouse un homme.
Le féminisme dans son sens strict se cantonnerait lui à défendre les droits des femmes.
Espoirs déçus d'une réforme orthographique et perspectives d'une langue égalitaire
La récente réforme de l'orthographe avait donné quelque espoir au mouvement anti-sexiste. Espoir qui s'est avéré bien illusoire, la question du déplacement du tréma notamment ayant été considérée comme prioritaire. Pourtant, depuis avril 2011 circule une pétition lancée par un collectif d'associations, visant à rétablir l'application de la "règle de proximité" quant à l'accord de l'adjectif au pluriel mixte. L'intitulé de la pétition en explique à lui seul le principe : "Pour que les hommes et les femmes soient belles! ". On reviendrait ainsi au régime orthographique d'avant 1676, date à laquelle le Père Bouhours fait entrer en pratique sa devise, qui déterminera l'orthographe actuelle : "Lorsque deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte." Alors non, l'orthographe n'est pas un code sacré immuable et indiscutable, elle est une convention qui reflète les structures sociales et les représentations en vigueur dans une société. Non, la masculinisation systématique du pluriel mixte n'est pas acceptable. Pas plus qu'il n'est acceptable que "les enfants" se disent "les fils" en espagnol, ou que le "tu / vous" soit décliné en plusieurs versions correspondant à chaque caste en langue hindi.
Cette comparaison nous permet d'aller encore plus loin. A société égalitaire - que nous sommes censés être en France d'après notre constitution - devrait correspondre une langue égalitaire. Et si nous faisions disparaître le "Mlle" des documents administratifs? Et si nous faisions disparaître les "M." et "Mme" et le genre des noms propres et commmuns avec? Qu'à-t-on donc besoin de connaitre et de souligner le sexe de la personne à laquelle on s'adresse ou de sexualiser un oblet qui ne l'est pas? Et si nous tutoyions tout le monde - comme cela se fait par exemple en Finlande - pour signifier que tout être humain a droit à la même dose de respect? Et si nous réformions complètement l'orthographe pour y effacer toute trace de hiérarchisation sociale?
Là c'est pareil, je crois que j'aurais besoin de collaborat-eur-rice-s pour m'y coller... (il paraît que ce mot est une façon déguisée de parler de ses subalternes, mais je n'en trouve pas d'autres...).
Article concernant la règle de proximité :
http://www.rue89.com/rue69/2011/11/08/grammaire-et-si-du-masculin-ou-du-feminin-aucun-ne-lemportait-226332